RÉCITS FANTASTIQUES GRATUITS

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– Eh bien, a-t-il dit, pour commencer, je ne l'ai pas construite tout seul, mais avec l'aide d'une équipe. Le projet est classé top secret. Ensuite – comme je l’ai déjà dit –, elle n'a rien à voir avec un congélateur temporel. Notre machine, nous l'appelons le vaisseau, fonctionne avec des faisceaux de lasers entrecroisés – près de dix mille. C'est un type nommé Ronald Mallett qui a le premier proposé ce principe, vers la fin du siècle dernier.

J'ai fouillé de nouveau dans mes souvenirs de lecture. Ronald Mallett… Effectivement, il me semblait avoir vu passer un nom comme cela.

– Et ton vaisseau, il est au point ? ai-je demandé, un rien soupçonneux. Vous l'avez testé suffisamment ?

Puis je me suis mordu la langue, me reprochant d'avoir parlé sans réfléchir. Mon existence suffit à prouver que ton aventure va bien se terminer, avait dit mon double. Et si je retournais dans mon temps d'origine, c'est donc que la machine allait fonctionner. L'argument était imparable, et la question complètement idiote.

Mon double a dû remarquer mon embarras, car il s'est abstenu de toute réponse. J'ai pris son silence pour une invitation à continuer, si possible de façon un peu plus réfléchie, et c'est ce que je me suis empressé de faire :

– Toi-même, tu l'as essayé alors, non ? Jusqu'à quelle période es-tu remonté ? Le Moyen Âge ? L'Antiquité ? L'époque des dinosaures ?

Mon double a secoué la tête :

– On ne peut pas remonter aussi loin en arrière, malheureusement, et cela en raison d'un tout petit détail…

– Lequel ?

La réponse de mon double a été interrompue par la mélodie d'un appel. Sur le pare-brise, en incrustation à côté des indications météo et de la montre-calendrier, l'image d'un homme s'est formée.

– Tous mes vœux, Einstein ! a claironné le nouveau venu. Tu voulais que je te rappelle, c'est ça ?

– Salut Arthur, a répondu mon double d'une voix égale. Attends, je te prends en mode privé…

Il a fait disparaître l'image de son correspondant et s'est coiffé d'un casque avec micro. D'un doigt sur la bouche, il m'a ordonné le silence avant de reprendre sa conversation.

Il m'était difficile de savoir dans le détail de quoi ces deux-là parlaient, mon double se contentant de phrases aussi brèves que possible. Visiblement, ce dernier n'avait aucune envie de m'inclure dans la conversation. Tout de même, j'ai réussi à comprendre une chose : ils discutaient du centre de recherche et de son système de sécurité.

Kiki en a profité pour sauter sur mes genoux. De l'index, j'ai fait toc-toc contre son flanc (je ne voyais toujours aucune bonne raison de le caresser) et je lui ai demandé, histoire de passer le temps, s'il avait déjà couru après un chat, ou s'il savait ronger un os. Mais tout ce qu'il m’a répondu, c'est :

– On n'échappe pas – ouaf ! ouaf ! – on n'échappe pas au temps par l'aventure. C'est ça, youp la boum, que monsieur Grimaldi a dit.

Mon double m'a jeté un regard irrité, signifiant par là que je me faisais trop remarquer. J'ai donc reposé le toutou parlant, et j'ai décidé que puisque c'était comme ça, j'allais plutôt me consacrer à mettre mon journal de bord à jour. Je l'ai extrait de ma poche et j'ai consulté ma montre.

14 h 54, ai-je d'abord inscrit tout en haut de la page.

*

C'est la voix synthétique qui m'a tiré de ma concentration :

Sortie imminente de la voie rapide. Mode manuel réengagé dans trois minutes…

Finie, donc, la progression sans à-coups du véhicule. J'ai expédié les dernières phrases de mon compte-rendu, rangé mon précieux calepin, et de son côté, mon double a clairement indiqué à son interlocuteur qu'il allait devoir raccrocher.

Peu après, mon chauffeur avait repris le contrôle de son joystick et nous entrions en agglomération.

– Où sommes-nous ? ai-je demandé.

– Plus très loin de notre destination, a répondu mon compagnon.

Les rues de cette ville étaient singulièrement animées, beaucoup plus en tout cas que celles que j'avais arpentées le matin même.

Les gens déambulaient en masse sur les trottoirs, vêtus eux aussi de ces hallucinantes tenues fluo, les uns glissant, les autres marchant d'un pas décidé.

Au-dessus des boutiques, les enseignes électroniques clignotaient dans une débauche de couleurs criardes et d'effets spéciaux 3D.

Tous les commerces semblaient ouverts en ce jour de premier de l'an, et je les imaginais pour la plupart – comme la médiathèque visitée le matin – tenus par des têtes-de-plastique.

Ces androïdes sur roulettes étaient partout, du reste, puisque j'en ai aperçu plus d'un, les quatre bras chargés de sacs de course ou tenant en laisse toute une meute de chiens-chiens à leur mémère, se frayer un chemin parmi les passants.

Les cyclistes aussi étaient de sortie, et roulaient d'un bon coup de pédale, en compagnie d'utilisateurs de tout âge de curieux engins électriques, sur des montures bleutées qui se ressemblaient toutes (j'ai parié pour des vélos de location). Les pistes qu'ils utilisaient couraient – sans exception – le long de chaque trottoir. On se serait presque cru à Pékin.

Le spectacle était divertissant. J'en profitais d'autant plus qu'il était pratiquement total, les portières de notre Renault donnant l'impression d'être transparentes (un système de caméras extérieures et d'images projetées, j'ai supposé).

J'ai tout à coup remarqué, dans le compartiment fourre-tout de ma portière justement, une paire de lunettes rigolotes. Infoglass, lisait-on sur les branches. Je l'ai posée sur mon nez, histoire de satisfaire ma curiosité, et là, je n'ai pu retenir une exclamation de surprise : en effet, tandis que je fixais l'édifice de l'autre côté de la rue, des renseignements sur ledit bâtiment se sont affichés en incrustation dans un coin du verre !

Intrigué, j'ai fait l'essai sur tous les édifices qui défilaient devant moi : cela marchait à tous les coups !

Portant mon regard sur une construction flambant neuve de briques vertes et bleues, j'ai ainsi fait apparaître des renseignements assez semblables à ce qui suit :

Centre Aquatique Intercommunal  « Les Dauphins »

Date de construction : 2044

Ouvert TLJ de 10 h 00 à 22 h 00

Clignez deux fois des yeux pour plus d'infos

Pratique, non ?

J'ai eu soudain une idée : peut-être ces binocles marchaient-elles aussi sur les gens ? Que se passerait-il si j'essayais de les utiliser sur mon double ? Après tout, je ne savais pas grand-chose de moi-même dans le futur. Est-ce que j'étais marié ? Est-ce que j'avais des enfants ? Si oui, combien ? J'avais été propulsé sans ménagement plus de trente ans dans le futur, je méritais au moins de savoir cela…

J'ai donc pris mon air le plus innocent et j'ai louché vers mon chauffeur, mais celui-ci, vif comme l'éclair, a tendu un bras et s'est emparé de mon gadget avant que quoi que ce soit n'ait eu le temps de s'afficher.

– Je te l'ai déjà dit : il n'est pas bon de trop connaître son avenir, a-t-il prononcé.

Cette fois-ci, la coupe était pleine : d'accord, mon moi du futur avait facilement l'âge d'être mon père, mais ce n'était pas une raison pour me traiter comme un gamin ! J'ai ouvert la bouche, bien décidé à râler un bon coup, mais au même moment, un ronflement m'a fait lever la tête, et une ambulance volante est passée au-dessus de nous en trombe, tous feux clignotants en action, suivie juste après par deux motards de la police juchés eux aussi sur des machines aériennes qui tenaient plus de l'hovercraft que de la motocyclette.

Je n'ai pas eu le loisir de suivre très longtemps la fuite de ce trio improbable, car du coin de l'œil, j'ai accroché quelque chose d'encore plus stupéfiant : sur ma droite, occupant une bonne partie du ciel, un gigantesque ballon dirigeable – beaucoup plus proche que ceux que j'avais vus jusque-là – s'élevait silencieusement. J'ai distingué des passagers agglutinés aux hublots et, le souffle coupé (toute colère soudain oubliée), je n'ai pu m'empêcher de lever une main pour leur envoyer un coucou.

– L'aérogare a été construite juste à la sortie de la ville, a commenté mon double qui, de toute évidence, venait de remarquer mon petit manège. Les dirigeables remplacent de plus en plus les avions, surtout sur les courts trajets. Plus écologique, paraît-il. Tiens, tu reconnais ce monument ?

Posant les yeux sur la sculpture caractéristique qu'il me désignait (une statue rococo datant du dix-neuvième siècle), j'ai enfin réalisé où je me trouvais : nous étions revenus dans ma bonne vieille cité ! Je ne l'avais tout simplement pas reconnue !

– Incroyable ! me suis-je exclamé. Jamais je n'aurais cru que notre ville puisse changer autant…

Mon double a juste acquiescé de la tête.

– Pourquoi m'avoir d'abord conduit chez toi, si la machine est ici ? ai-je ajouté. Pourquoi ne pas être allé directement à ton centre de recherche ? C'est une perte de temps.

Mon compagnon a tapoté la poche de sa veste.

– Il y a ça, que je tenais à te donner. Je l'avais oublié à la maison. Et puis, il y aurait eu trop de curieux au centre ce matin. Toi et moi, ce que nous voulons, c'est la tranquillité.

– Tu veux dire que personne n'est au courant ?

Mon double a pilé à un feu rouge (un gros point couleur sang apparu sur le pare-brise en fait, les véritables feux ayant disparu du paysage urbain) et m'a fixé comme s'il contemplait un demeuré :

Évidemment que personne n'est au courant. Qu'est-ce que tu t'imagines ?

Là-dessus il a redémarré, a pris la première à droite, la seconde à gauche, et je me suis bientôt retrouvé… devant mon propre immeuble.

Il s'est passé ensuite ce que je commençais à suspecter fortement : mon chauffeur a pris une rue adjacente et a immobilisé le véhicule avant de déclarer :

– Nous sommes arrivés.

Il a effleuré un bouton, et d’un coup de son joystick, il a laissé la Renault se glisser toute seule comme une grande dans l'unique place de parking restée libre. Puis il m'a regardé, l'œil pétillant.

– Ne me dis surtout pas que ta machine se trouve elle aussi dans mon immeuble, ai-je dit.

– Mais si, a répondu mon double. Nous étions obligés. Comme tu le verras, le caisson de Tubercule a un rôle primordial à jouer. On y accède par le centre qui lui, se trouve juste au coin.

Il a pris Kiki dans ses bras, nous nous sommes extraits du véhicule, et quelques enjambées plus tard, nous avions contourné le bâtiment et atteint l'entrée principale du centre de recherché.

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Tous droits réservés
(C) 2015-16 Jérémie Cassiopée

Illustration: Marzena Pereida Piwowar

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