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Le lundi deux avril à 17 h 44, j'ai trouvé en rentrant du collège l'appartement fermé à double tour.

Je suis resté devant la porte pendant plusieurs secondes, les bras ballants, ne parvenant pas à comprendre pourquoi l'appartement était fermé, alors que je venais juste d'avoir ma mère sur mon portable, et qu'elle m'avait dit qu'elle serait là, bien évidemment, pour m'attendre. (Ce lundi-là, en effet, c'était la première fois depuis l'incident que j'étais autorisé à rentrer seul de l'école – Baptiste ayant filé directement à son club d'échecs – et ma mère m'avait téléphoné trois fois en une demi-heure pour s'assurer que tout allait bien.)

J'ai frappé à plusieurs reprises sans réponse, alors j'ai sorti ma clé, et là, mon sang s'est figé car en dépit de tous mes efforts, je n'ai pu l'introduire dans la serrure…

Je dois avouer qu'à ce moment-là, j'ai vraiment paniqué : est-ce que je devenais fou, ou quoi??? Il fallait absolument qu'on me dise que non, que je parle à quelqu'un. J'ai dévalé les escaliers et j'ai tambouriné à la porte de madame Lepic, la concierge dont j’ai déjà parlé. C'est une mamie adorable responsable de l'entretien de l'immeuble, et qui nous avait gardés plusieurs fois, Baptiste et moi, quand nous étions petits. On a ouvert presque immédiatement, mais contre toute attente, c'est un gros bonhomme en T-shirt sale qui est apparu. Je ne l'avais jamais vu avant.

– Mmm ? a-t-il grommelé la bouche pleine, une cuisse de poulet dans la main.

– Madame Lepic ! ai-je presque hurlé. Je voudrais parler à madame Lepic. S'il vous plaît monsieur…

– Connais pas, a répondu l'homme en faisant mine de refermer la porte.

– C'est la concierge ! ai-je insisté.

Le gros bonhomme m'a regardé bizarrement. Il a tenté sans succès d'avaler sa bouchée puis il s'est gratté un endroit que je préfère ne pas nommer avant de répondre finalement :

– Le conchierge, ch'est moi, mon gars.

Là-dessus : vlam ! Il m'a refermé la porte au nez.

Je ne savais plus quoi penser, si ce n'est qu'effectivement, je devais être totalement cinglé, en pleine hallucination. Qu'auriez-vous fait ? Moi, mon instinct m'a dicté de remonter à mon étage, de tenter coûte que coûte d'entrer de nouveau chez moi. Avec un peu de chance (j'essayais de m'accrocher à cette idée), ma mère cette fois-ci serait là, elle m'accueillerait à bras ouverts, et tout redeviendrait normal.

Malheureusement, quand la porte de l'ascenseur s'est ouverte, les choses sont allées de mal en pis. Vous êtes au sixième étage, venait d'annoncer la voix de synthèse dans la cabine. J'étais donc bien de retour sur mon palier. Pourtant, je n'arrivais pas à en croire mes yeux…

Pourquoi un tel choc ? Eh bien, parce que cet étage-là ne ressemblait absolument plus à celui que j'avais quitté moins de trois minutes auparavant.

Le palier avait entièrement été redécoré, comme par un coup de baguette magique. À la place de la couleur beige triste et sale que je connaissais, s'étalait maintenant sur tous les murs une scène animée – oui, animée comme si elle était réelle – représentant un paysage montagneux, soleil rougeoyant et vols d'éperviers compris. Vissé dans la cloison en face de la fenêtre, trônait un panneau électronique qui affichait avec un culot monstre une heure complètement fantaisiste – 23 h 54 – ainsi que, entre autres informations, un message tout aussi ahurissant :

 

LA CONCIERGERIE SERA FERMÉE PENDANT LES FÊTES JUSQU'AU MARDI 2 JANVIER INCLUS

Je me suis avancé sur le palier et pendant quelques instants, ma tête est restée vide de toute pensée cohérente. Ensuite les questions ont commencé à se bousculer : que se passait-il, bon Dieu ? D'où sortait ce revêtement mural de science-fiction ? Pourquoi cette note à la noix sur les fêtes et le mois de janvier alors que bien évidemment, on n'était encore que début avril ? Et la montre de mon poignet indiquant à ce moment-là 17 h 58, c'est-à-dire tout juste la fin de l'après-midi, qu'est-ce que l'heure sur ce fichu panneau signifiait ? On ne pouvait quand même pas être au milieu de la nuit, enfin !

Je me suis tourné vers la porte vitrée de l'issue de secours, et il a bien fallu me rendre à l'évidence : dehors, il faisait à présent une nuit d'encre. L'impression de lumière du jour qui m'avait trompé venait – j'ai levé brièvement la tête – de lumières intégrées dans un plafond entièrement lumineux sorti lui aussi d'on ne sait où.

Je me suis approché de cette porte, comme hypnotisé. Je l'ai ouverte d'un coup d'épaule, une bourrasque de vent froid m'a enveloppé et je me suis avancé sur la plate-forme de métal de l'escalier. Ce que j'ai vu alors, baigné dans les cônes de lumière de lampadaires innombrables, m'a saisi jusqu'à l'effroi.

En effet, à mes pieds – et tout autour de l'immeuble pour ce que je pouvais en juger – s'étendait un quartier qui n'était plus le mien. Le terrain vague d'en face avait disparu, remplacé par ce qui ressemblait à un jardin public avec des arbres tous identiques et un lac qui scintillait sous la lune. La rue à mes pieds, ma rue, celle que j'avais toujours connue, était méconnaissable, transformée en voie piétonne pavée avec bancs en fer forgé et piste cyclable.

Un feu d'artifice a soudain éclaté, dévoilant le paysage en arrière-plan, et là, j'ai senti mes jambes se dérober et j'ai dû m'accrocher au garde-fou de l'escalier pour ne pas tomber.

Car voyez-vous, ce n'était pas simplement mon quartier qui avait été métamorphosé : c'était toute la ville. Derrière les arbres du jardin, là où il n'y avait jamais eu qu'une gigantesque usine désaffectée, des tours de verre effilées comme des obus se dressaient contre les étoiles, leurs formes à présent parfaitement identifiables. Posé à une vingtaine de mètres du sol, un pont de métal barrait ces tours d'un trait avant de se perdre dans l'obscurité. Une chenille brillant de mille feux a surgi sur ce pont, laissant une traînée de lumière se graver sur mes rétines – le jaune des phares et des ouvertures d'abord, le rouge des feux arrière ensuite –, avant de se fondre à son tour dans le lointain. Le feu d'artifice a redoublé d'intensité, me poussant malgré moi à de nouvelles découvertes : la forme déroutante des voitures garées au pied des tours par exemple, toutes rondes comme des gouttes d'eau, ou bien encore, sur les toits, l'absence criarde de toute antenne de télévision.

Sur le côté, un panneau publicitaire géant a grésillé puis s'est animé, projetant vers moi dans un effet 3D spectaculaire un compte à rebours en chiffres gigantesques : 10, 9, 8…

Quand le compte est arrivé à zéro, le feu d'artifice a délivré son bouquet final, emplissant le ciel étoilé d'énormes fleurs multicolores et de coups de tonnerre assourdissants.

Devant le panneau publicitaire, le texte en relief en a profité pour changer, me confirmant de façon brutale ce que je ne commençais que trop à soupçonner. L'infâme texte disait, et j'ai reçu cela comme un ultime coup de poing :

 

LE CONSEIL MUNICIPAL…

VOUS SOUHAITE…

UNE BONNE ANNÉE 2046

UNE BONNE ANNÉE 2046

UNE BONNE ANNÉE 2046

(Suite sur PAGE 3)

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Tous droits réservés
(C) 2015-16 Jérémie Cassiopée

Illustration: Marzena Pereida Piwowar

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