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J'ai bien évidemment passé les jours qui ont suivi à profiter de ma famille et à goûter le parfum nouveau de cette vie que jusqu'à présent, j'avais toujours jugée un brin monotone.

Ensuite, j'ai beaucoup réfléchi à ce qui venait de m'arriver. J'expose ci-dessous le fruit de ces cogitations. Comme vous pourrez le constater, certaines de mes conclusions ont des implications carrément étourdissantes.

Je précise au passage, au cas où quiconque en douterait, que tout ce que j'ai raconté est parfaitement sincère. J'ai laissé de côté, c'est vrai, certains détails inutiles. Par contre, je n'ai rien ajouté, rien inventé.

Commençons par évacuer un couple de questions que j'appellerai techniques.

*

Sans doute vous êtes-vous demandés pourquoi mes trois voyages dans l'ascenseur temporel avaient eu des durées tellement différentes ? Oui ? Alors voilà ce que je pense…

Ah ! Je réalise que j'aurais dû dire quatre voyages, et non trois, si l'on compte l'embarquement à la hâte que j'ai dû effectuer juste après l'irruption de mes amis de la police, mais ce voyage-ci était de toute façon programmé. J'aurai l'occasion d’en reparler bientôt.

Mes trois voyages principaux, donc.

Comme vous le savez, c'est le panneau des boutons d'étages qui contrôlait le voyage temporel. La première fois – le voyage qui a duré une semaine – j'ai appuyé directement sur le bouton du sixième étage. Enfin, très certainement. La seconde fois – le voyage de plusieurs mois –, j'ai dû par contre presser plusieurs fois le même bouton. Cela m'arrive souvent, je ne suis pas du genre patient… La troisième fois, je m'en souviens clairement : c'était juste après mon tête-à-tête éclair avec Gras-du-bide, le nouveau concierge ; j'étais complètement paniqué, la porte ne se fermait pas assez vite, et j'ai appuyé comme un fou furieux sur tous les boutons.

Différentes manipulations, donc différentes durées dans le caisson temporel. Plausible, non ?

Par ailleurs, on se souvient que j'avais demandé à mon double pourquoi l'invention de Séraphin Tubercule avait si bien fonctionné avec moi, alors qu'elle était sécurisée par un système de reconnaissance d'empreintes. Creuse-toi la cervelle, avait répondu mon double. Eh bien ! C'est ce que j'ai fait et voici une tentative d'explication.

Ce malheureux Tubercule devait être en train de mettre la dernière touche à son invention, juste avant que je descende chercher le magazine. Il a entrepris de programmer la reconnaissance d'empreintes sur le panneau des boutons d'étages, mais à la dernière seconde, probablement pour aller chercher quelque chose en vitesse dans sa voiture, il est ressorti de l'immeuble en laissant le système en attente. Il n'est jamais revenu bien sûr, et le système a donc mémorisé les premières empreintes qui se sont présentées à lui, c'est-à-dire les miennes. Sans le savoir, j'étais devenu l'heureux élu !

De même que la précédente, cette hypothèse me paraît acceptable.

Mais tout cela n'a pas beaucoup d'importance, finalement.

Ce qui compte vraiment, c'est ce que j'ai découvert dans le fameux carnet d'instructions ramené du futur, une nuit, à 3 h 17…

*

Certains détails, durant mon aventure, m'avaient troublé au plus haut point. Cette nuit-là, allongé sur mon lit sans pouvoir fermer l'œil, ils continuaient de me troubler. Les mêmes questions sans réponses revenaient sans cesse : Qu'est-ce qui ne va pas avec les photos que j'ai vues chez mon double ? Pourquoi mon double m'a-t-il empêché d'utiliser les lunettes Infoglass ? Pourquoi est-ce que je n'arrive pas à avaler le coup du carnet et de ses instructions surgies de nulle part ?

Je tournais et retournais ces trois énigmes dans ma tête. J'avais le sentiment qu'elles étaient liées, mais de quelle façon ?

J'ai attrapé le carnet d'instructions, et pour la centième fois, je l'ai feuilleté, espérant qu'il apporterait une résolution enfin définitive à mes questions.

Contre toute attente, c'est ce qui s'est finalement produit.

Par le plus pur des hasards, à l'heure exacte que j'ai indiquée plus haut, mes yeux se sont arrêtés sur la page trois.

Je pensais la connaître par cœur, cette page. Elle représentait deux schémas, apparemment assez similaires, suivis chacun d'un commentaire écrit en lettres très serrées. Le second schéma ainsi que son commentaire avaient été vigoureusement barrés, comme s'ils ne constituaient qu'un ramassis d'incohérences.

Des passages raturés, il y en avait d'autres dans ce carnet. Je trouvais cela parfaitement normal : un cheminement scientifique est toujours entaché d'erreurs et de fausses pistes. Ce qui, pour une raison ou pour une autre, m'a soudain sauté aux yeux cependant, c'est le fait que cette section – et celle-ci seulement – avait été barrée d'une couleur différente du noir passe-partout utilisé partout ailleurs. La couleur, à mi-chemin entre le gris et le bleu marine, ressemblait furieusement à celle du stylo de Tête-de-plastique (stylo que j'avais joyeusement utilisé depuis mon retour). De plus, l'encre semblait nettement plus fraîche.

Quelqu'un avait récemment tenté de dissimuler certaines des conclusions du carnet…

Mon double.

Ce ne pouvait être que mon double : en allant chercher le carnet dans la pièce d'à côté, il avait dû en profiter pour hachurer schéma et commentaire avec un stylo semblable à celui que j'avais récupéré.

Mais pourquoi faire cela ?

J'ai sorti mon propre stylo multifonction du futur de ma table de nuit et, après quelques tâtonnements, je l'ai réglé sur la position effaçage : mon double ne devait certainement pas compter sur cela ! J'ai passé la pointe sur les hachures, révélant lentement le contenu dissimulé de la page.

Ce que j'ai lu m'a fait l'effet d'une bombe. J'ai feuilleté le carnet plus énergiquement que jamais. J'ai cogité, cogité, cogité et progressivement, tout est devenu clair. Je me suis emparé de mon journal de bord et en lettres énormes, j’ai fini par griffonner en deux phrases les conclusions de ces cogitations.

J'ai passé le reste de ma nuit à m'agiter dans mon lit. Ce n'est qu'au petit matin que j'ai trouvé le sommeil.

*

Que dévoilaient-elles donc, ces fameuses informations qu'on avait cherché à me cacher ? Le mieux c'est encore que (mettant de nouveau mon stylo magique à contribution - j'adooore ce stylo) je reproduise une version simplifiée desdits schémas :

Le schéma ci-dessus, c'est le premier, celui qui n'avait pas été barré. Il représente – selon le commentaire qui l'accompagnait – un modèle de la réalité où le temps est unique mais flexible, où il a une épaisseur, pour reprendre l'expression de mon double. Dans cette réalité, le voyageur temporel peut revenir dans le passé et le changer, l'ancien passé disparaissant alors dans le néant.

C'est sur une conception de ce genre que mon double s'était appuyé pour me rassurer, pour me persuader que je pouvais revenir dans mon présent juste au bon moment, que nos parents n'auraient jamais à souffrir de ma disparition, et que je vivrais heureux avec beaucoup d'enfants jusqu'à la fin de mes jours.

Ce schéma-ci en revanche, c'est celui qu'on avait tenté de me dissimuler, et que mon stylo effaceur a révélé, en même temps que son commentaire explicatif. Il raconte une toute autre histoire : le voyageur temporel peut remonter le passé, mais la magie cesse d'opérer au moment même où le voyageur remet les pieds dans le présent. La simple matérialisation de l'ascenseur crée une nouvelle ligne temporelle, ou pour mieux dire un univers divergent.

Le commentaire explicatif précisait que le futur que l'on quitte est à jamais perdu et que, selon toute vraisemblance, c'est à ce modèle-ci que correspondait la réalité, le schéma A n'étant qu'un attrape-nigaud pour les rêveurs et les naïfs…

Que l'on cherche à me dissimuler un schéma ne rend pas forcément ce dernier digne de foi, c'est vrai. Peut-être n'y avait-il qu'une ligne temporelle, sur laquelle on pouvait voyager à loisir. Mais quand j'ai rapproché les possibilités offertes par le schéma B des faits curieux que j'avais observés durant mon aventure, ma réflexion s'est considérablement aiguisée.

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Tous droits réservés
(C) 2015-16 Jérémie Cassiopée

Illustration: Marzena Pereida Piwowar

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