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Après quelques instants, les chiffres ont ralenti leur ronde furieuse, puis se sont carrément immobilisés, et dans la fenêtre, j'ai pu lire – et mon cœur a sauté un battement – non seulement la bonne vieille année qui était celle de mon temps d'origine, mais aussi une date – mercredi 7 mars – qui correspondait au jour précis où tout avait commencé.

– Si j'ai bonne mémoire, j'ai quitté l'appartement – ou pour mieux dire tu as quitté l'appartement – seulement quelques minutes avant ton premier voyage dans le caisson, a dit mon double.

J'ai exhibé mon journal de bord.

– Tout est là, ai-je dit simplement.

Mon double l'a consulté en hochant la tête :

– Bon. Je vais te faire revenir à la même heure.

Il m'a rendu mon calepin, puis il a pianoté sur quelques touches du pupitre de commande et l'heure en question s'est sagement matérialisée à côté de la date de mon retour : 13 h 24.

– Ah ! a-t-il ajouté en fouillant de nouveau dans sa poche. N'oublie pas d'utiliser ça en arrivant.

J'ai regardé ce que mon double venait de me glisser dans la main : c'était une banale clé USB. Un objet certainement antique en 2046, compte tenu de ce que j'avais vu de leur technologie informatique. Qu'est-ce que j'étais censé faire avec ça ?

Mon double a semblé lire dans mes pensées :

– Une fois dans ton temps, si tu laisses les choses en l'état, le caisson s'ouvrira pour libérer l'ascenseur au bout d'une semaine – comme cela s'est déjà produit une fois – et tu te retrouveras avec un deuxième toi-même sur les bras. Ce n'est certainement pas ce que nous voulons…

J'ai marqué un temps d'arrêt. Mon autre moi-même. À quelques minutes près, il allait pénétrer pour la première fois dans son ascenseur-prison au moment même où je remettrais les pieds dans le passé… Évidemment, mon retour n'allait pas le faire disparaître comme par enchantement.

– J'y suis, me suis-je finalement exclamé. Tu veux que je modifie les paramètres du caisson ?

– Exactement. C'est la seule solution. Regarde : la trappe d'accès au panneau de contrôle est ici, bien cachée. Tu téléchargeras des nouvelles instructions. Résultat : l'ascenseur restera sagement dans son caisson. Tu feras cette fois-ci tout le voyage d'une seule traite jusqu'à maintenant – quand je dis tu, je parle de ton autre toi-même, bien sûr. Et je serai ici à t'attendre pour te renvoyer vers ton année de départ…

– Attends un instant, ai-je objecté. Tu es en train de me dire que je vais modifier le passé…

– Évidemment, a répondu tranquillement mon double. Tu vas le modifier pour le mieux : pour qu’il n’y ait ni disparition, ni traumatisme. Tu retourneras – et je retournerai donc – auprès de notre famille, et ils ne sauront jamais rien de ce qui se passe réellement. C'est bien ce que tu souhaitais, non ?

Bien sûr, c'était ce que je souhaitais. Simplement, jusque-là, je n'avais pas réalisé toutes les implications.

– Mais… Est-ce vraiment possible ? Je veux dire : je ne vais pas provoquer une – comment on dit déjà ? – une destruction complète du continuum espace-temps, ou un truc de ce genre ?

Mon double s'est contenté de sourire.

– La ligne du temps n'a pas cette rigidité. En fait, toutes nos études montrent qu'elle est assez souple, qu'elle possède une certaine épaisseur. Il est possible de modifier le passé, à condition de ne pas toucher aux événements majeurs. Le futur s'adaptera. Il s'est adapté. Encore une fois, mon existence en est la preuve. Tu peux donc repartir dans ton époque et être heureux. En revanche, il faut absolument laisser ton autre toi-même effectuer son voyage, cette fois-ci d'une seule traite, jusqu'au 31 décembre 2045.

Il a marqué une pause avant d'ajouter :

– À ce propos, quel T-shirt portais-tu le jour de ta première disparition ? Celui que tu portes aujourd'hui ?

J'ai cillé (la question était totalement inattendue), puis j'ai fini par réaliser : mais bien sûr ; je portais aujourd'hui des vêtements probablement différents de ceux que j'avais sur moi lorsque, quatre semaines de mon temps auparavant, j'avais disparu pour la première fois…

J'ai donc fini par répondre :

– C'était un noir comme celui-ci, je crois, mais lequel, je n'en sais rien.

– Un noir ? Tant mieux. Avec un peu de chance, les parents ne s'apercevront pas du changement de tenue lorsque tu referas surface.

Là-dessus, il s'est décidé à extraire de la poche ce que je l'avais vu emporter lorsque nous étions chez lui – le fameux objet épais –, et il a ajouté :

– Et surtout, n'oublie pas ça. C'est primordial pour la suite.

J'ai pris le carnet qu'il me tendait – car c'en était un, solide et volumineux – et je l'ai feuilleté rapidement. Au texte dense écrit à la main s'ajoutaient des formules alambiquées et des schémas compliqués. J'ai compris que je tenais là, au creux de mes deux mains, un travail solitaire mais intense de réflexion et de recherches scientifiques.

– Tu sais pourquoi tu en as besoin ? a interrogé mon double.

J'ai réfléchi profondément – aussi profondément que j'en étais capable à ce moment-là – puis j'ai fini par faire non de la tête. Là, il me posait une colle.

– C'est simple, a repris mon double. Tu vas te servir des instructions de ce carnet pour construire la machine à revenir dans le passé. Quand tu seras vieux, tu seras moi, et tu donneras ce carnet à ton jeune double avant de le réexpédier dans le passé –comme je le fais maintenant avec toi – pour qu'il construise la machine. Ainsi, comme je te l'ai déjà dit, la boucle sera bouclée.

J'ai froncé les sourcils.

– Une minute ! ai-je fini par protester. Il n'y a pas un léger hic dans ce que tu es en train de me dire ?

– Ouaf ! a fait Kiki.

J'ai fait un effort pour résumer ma pensée :

– Si j'ai bien tout compris, tu n'as pas écrit ces instructions, puisque tu les as reçues telles quelles et que tu te contentes de les renvoyer dans le passé, et je n'écrirai pas non plus ces instructions dans le futur, puisque je les reçois de toi. Alors qui les a écrites ? Le grand Manitou ?

Cela me semblait louche, et j'attendais une explication. J'espérais simplement que mon double n'allait pas me refaire le coup du creuse-toi la cervelle.

– Sois patient, me suis-je entendu répondre. Un jour, tout te deviendra clair…

Hum ! Ce n'était guère mieux, mais mon double semblait de si bonne foi, tellement confiant, que j'ai décidé de le croire sur parole. La fatigue me gagnait, et j'ai réalisé que je n'attendais plus qu'une seule et unique chose à présent : être réuni au plus vite avec ma famille et mon époque.

– Entendu, ai-je dit.

J'ai reporté mon attention vers l'engin sous son emballage plastique. Le fameux vaisseau, donc.

– Bon, ai-je repris. Tu te décides à me la présenter, ta petite merveille ?

Mon double a pressé un bouton, il y a eu un ronronnement de moteur, et la bâche s'est élevée lentement.

Je m'attendais à tout, sauf à ce que j'ai vu apparaître.

Car devant moi, dans toute sa splendeur, s'est dressée progressivement, non pas la machine de science-fiction à laquelle je m'attendais mais… une réplique exacte de mon ascenseur !

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Tous droits réservés
(C) 2015-16 Jérémie Cassiopée

Illustration: Marzena Pereida Piwowar

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