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Sur la plus proche des étagères, cependant, il y avait quelque chose de complètement différent : c'était un cadre photo numérique, assez semblable finalement à ceux de mon époque. Ma curiosité a été aiguisée.

– Ce sont toutes des photos de toi ? Enfin, de moi, je veux dire…

– De toi et de toute la famille, a répondu mon double.

– Je peux les voir ?

Mon double a reposé son chien et a entrepris de faire défiler les photos. Ici, disait-il, c'est toi à l'âge de vingt-cinq ans, lors de la cérémonie de remise des diplômes à l'université. Là, tu as dix-sept ans. La photo a été prise lors d'une soirée bien arrosée. La fille dans tes bras s'appelle Émeline, mais il n'y aura rien de sérieux entre vous. Celle-là, c'est une photo de groupe prise avec tes collègues lors d'une conférence, il y a quelques années. Tu es – laisse-moi chercher – ah : ici. Tu avais encore tous tes cheveux…

– Et Baptiste ? J'ai soudain demandé. Tu as des photos de lui ?

– Bien sûr, a répondu mon double. Attends un instant… Voilà. Ici, c'est lui lors de son quinzième anniversaire – dans un an de ton temps d'origine donc. Je me souviens : c'est moi qui ai pris la photo, donc, c'est toi qui la prendras. J'en ai une autre un peu plus loin… la voici : elle a été prise lors d'une fête d'adieu, juste avant son départ pour l'Amérique du Sud. Même maintenant, nous nous ressemblons encore beaucoup, tu ne trouves pas ? Tu reconnais les parents, au fond ? Tu dois trouver qu'ils ont pris un sacré coup de vieux…

– Baptiste est parti en Amérique du Sud ? ai-je réagi.

Mon vis-à-vis a confirmé de la tête.

– Il y a un peu plus d'un an. Moi, c'est les recherches sur le temps qui me passionnaient. Lui, cela ne l'intéressait absolument pas. Ses centres d'intérêts étaient – si je puis dire – beaucoup plus terre à terre : il s'est spécialisé dans l'ingénierie chimique. Il travaille à présent sur une plate-forme pétrolière, au large du Brésil. Tiens regarde : ici aussi, c'est lui. Et là aussi.

J'ai pris le cadre des mains de mon double pour presser moi-même le bouton. Les photos apparaissaient et disparaissaient : Baptiste (ou peut-être moi), une réunion de famille, une photo de groupe, moi (ou peut-être Baptiste) avec les parents, un souvenir de vacances… J'ai froncé les sourcils : quelque chose n'allait pas dans ce que je voyais, c'était incontestable. Mais quoi ? Je n'arrivais pas à mettre le doigt dessus.

Quand j'ai eu épuisé le stock de photos, je me suis tourné vers mon double :

– Tu en as d'autres ?

– Plein d'autres, mais pas question de te les montrer : il n'est pas bon de trop en savoir sur son propre futur.

J'ai failli protester, mais sur le fond, me suis-je résigné, mon double avait peut-être raison…

Je suis revenu sur une photo en particulier que j'avais repérée (un portrait en gros plan de mes parents) et je la lui ai mise sous le nez :

– Et eux ? Tu peux au moins me dire comment ils vont.

– Les parents ? Toujours bon pied bon œil, ne t'inquiète pas. Ils continuent de profiter de leur retraite. Aucun problème.

Le ton de sa voix – un peu trop rassurant – m'a alerté. Pour la première fois depuis notre rencontre, je l'ai regardé avec un brin de méfiance.

– Victor (cela faisait bizarre de l'appeler ainsi), tu me caches quelque chose.

– Bien sûr que non, a répondu mon double.

J'ai reposé doucement le cadre numérique à sa place.

– Très bien. Montre-les-moi alors. En chair et en os.

L'espace d'un instant, nous nous sommes tenus face à face comme deux pistoleros prêts à en découdre dans le soleil couchant, puis mon double a rompu l'engagement.

– Pourquoi pas après tout. Mais je ne suis pas sûr qu'ils soient là.

Sans avertissement, il m'a agrippé le bras et m'a entraîné dans un coin du salon :

– Reste là et tiens-toi tranquille. Il est hors de question qu'eux te voient ou t'entendent. Pas un mot, tu m'entends ?

Là-dessus, mon double est allé se planter devant le seul des quatre murs dépourvu d'étagères (celui où la pendule était incrustée), et il a déclamé :

– Ordinateur : appel vidéo, domicile parents.

Une fenêtre d'un noir d'encre est apparue dans le paysage exotique. Appel domicile parents, a confirmé le message en lettres dorées qui s'inscrivait à l'intérieur. Une mélodie électronique a retenti deux ou trois fois, interrompue soudain par la disparition de la fenêtre et la matérialisation d'une image en relief. J'en ai eu le souffle coupé : devant moi, faisant face à mon double, se tenait un vieillard, ou la tête et le buste d'un vieillard, plutôt, flottant dans l'air comme un fantôme, mais aux couleurs aussi réelles que s'il avait été dans la pièce.

– Bonne année, papa, a dit mon double.

– Bonjour fiston, a répondu cet être frêle aux cheveux blancs que deviendrait mon père. Meilleurs vœux à toi aussi. Comment vas-tu ? Cela faisait un petit moment qu'on n'avait pas eu de tes nouvelles…

Puis il a tourné la tête pour appeler :

– Chérie ! Viens voir qui est là !

La personne en question est arrivée – une version âgée de la mère que j'avais toujours connue, donc – et s'est installée, rayonnante, près de mon père :

– Bonjour mon grand. Tous nos vœux ! Alors ? Comment se sont passées tes fêtes ? Comment vont tes recherches ?

S'est ensuivie une conversation qui n'aurait pas d'intérêt dans ce récit. De toute façon, je ne l'écoutais pas vraiment. Ce qui me fascinait, c'était d'étudier mes parents plus que de les entendre ; d'analyser la progression lente de leurs moindres gestes ; de suivre du regard le développement des sillons sur leur visage quand ils souriaient ; de comparer le timbre voilé de leur voix. Je m'emplissais les yeux et les oreilles de leur présence : si proches, et pourtant inaccessibles. Une chose en particulier m'a frappé : l'un comme l'autre semblaient fouiller la pièce du regard, regardant à travers leur interlocuteur comme s'ils cherchaient quelque chose – ou quelqu'un – au-delà. Une ombre ? Un souvenir ? La trace d'un passé à jamais disparu ? J'en avais la gorge serrée. J'ai failli me précipiter dans leur champ de vision pour hurler : Papa ! Maman ! Je suis là ! Je suis là ! Mais bien sûr, cela aurait été pure folie.

Mon double a dû sentir mon agitation car il a soudain abrégé la conversation. L'image de mes deux parents a disparu dans un plop et nous nous sommes dévisagés en silence.

– Je veux rentrer dans mon temps, ai-je dit finalement, le souffle court.

Mon vis-à-vis a jeté un œil sur la pendule murale.

– D'accord, a-t-il dit.

Puis il s'est penché vers le chien-robot qui, à ses pieds, les oreilles dressées, le contemplait avec des yeux grands comme des soucoupes. Il lui a gratouillé le sommet du crâne et il a ajouté :

– Qui c'est qui va venir avec nous ? C'est le Kiki à son papa.

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Tous droits réservés
(C) 2015-16 Jérémie Cassiopée

Illustration: Marzena Pereida Piwowar

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