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13 h 24.

C'est l'heure qu'il était quand tout a commencé, un beau mercredi du début du mois de mars. Je le sais très bien, car c'était juste avant le début de mon émission préférée : les Clés de l'Univers, sur la chaîne Discovery. Mes parents m'ont demandé d'aller leur chercher le magazine télé dans la rue en bas de l'immeuble, et j'ai eu beau rechigner et protester, il a bien fallu finir par obéir.

J'ai avalé les six étages de mon immeuble en descendant les marches de l'escalier comme une fusée??? j'avais un jour chronométré que par rapport à l'ascenseur je gagnais dix-sept secondes –, j'ai fait irruption chez le marchand de journaux juste au coin de la rue, j'ai arraché le magazine du présentoir, lancé à la buraliste bonjourjeprendsTéléramamerciaurevoir, plaqué la monnaie sur le comptoir, piqué en douce deux caramels mous dans la bonbonnière (j'adore les caramels mous), je suis sorti en coup de vent, j'ai superbement dédaigné le remue-ménage causé par un incident qui apparemment venait juste d'avoir lieu plus bas dans la rue, lancé en rentrant un coucou sonore à madame Lepic, ma concierge bien-aimée qui rentrait chez elle, et moins de six minutes chrono après mon départ, j'étais de retour sur mon palier.

Je suis entré en trombe dans l'appartement, avec comme seul objectif le canapé du salon, mais là, surprise : mon canapé favori était déjà occupé par deux hommes aux costumes et à la mine sombres. Ils ont levé la tête à mon arrivée et mes parents, qui se tenaient debout devant eux, ont à leur tour réalisé ma présence. Ils avaient l'air hagards, hagards et en état de choc.

Ils sont restés pétrifiés pendant quelques secondes, puis sans crier gare, ma mère s'est jetée sur moi et m'a serré tellement fort que j'ai cru qu'elle allait m'étouffer.

– Mon petit Victor ! a-t-elle sangloté. Tu es revenu ! Merci mon Dieu ! Merci !

Puis elle m'a lâché tout aussi brutalement et s'est mise à me secouer comme un prunier.

– Mais que s'est-il passé ? a-t-elle hurlé. Où étais-tu durant tout ce temps ? Réponds-moi ! Où étais-tu ? Hein ?

*

Durant les deux heures qui ont suivi, je n'ai rien compris à quoi que ce soit. J'ai été interrogé par les deux hommes en costumes sombres – ils se sont présentés comme des enquêteurs de la police – puis par une femme qui est arrivée après et qui m'a dit être psychologue. Leur ton était amical, mais certaines de leurs questions gênantes, pour ne pas dire carrément tordues.

Après l'interrogatoire, ils ont déclaré vouloir parler en tête-à-tête avec mes parents, et je me suis retrouvé seul dans ma chambre, assis en chien de fusil sur le lit, tentant en vain de mettre un peu d'ordre dans mes idées. J'ai jeté un œil à ma montre. Il était alors

15 h 56.

On a frappé à la porte, j'ai marmonné entrez, et mon frère Baptiste a fait son apparition. Il s'est assis en silence à côté de moi et m'a fixé avec intensité. Je lui ai rendu son regard, plongeant mes yeux dans des yeux semblables aux miens. Son visage a pris une expression bien connue, celle-là même exactement que – me dit-on – je prends moi aussi quand quelque chose me rend perplexe. Il a plongé une main dans sa tignasse couleur paille, mimant un geste que je fais également souvent, dans des cheveux aussi blonds que les siens.

Baptiste est mon frère jumeau, une copie exacte de moi-même. Si ce n'était les vêtements différents qu'il portait, j'aurais pu me croire face à mon propre reflet.

– Eh bien mon vieux, a-t-il fini par lâcher, quand tu te décides à faire un coup tordu, tu n'y vas pas de main morte.

– Je n'y pige que dalle, ai-je répondu avec un mouvement vague de la main. Je ne suis parti que quelques minutes, et on me traite comme si je venais de faire une fugue de deux jours.

Baptiste m'a regardé avec consternation.

Quelques minutes ? Est-ce que tu réalises ce que tu es en train de dire, Victor ?

Je me suis levé d'un bond et, tout en arpentant ma chambre, j'ai tapé rageusement sur ma montre.

– Je te dis que je suis parti exactement cinq minutes et trente-trois secondes. Ne me prends pas toi aussi pour un idiot.

Baptiste s'est levé à son tour. Il a hésité quelques secondes, puis s'est décidé sur ce qu'il convenait de faire ensuite : il m'a plaqué contre la cloison, faisant dégringoler la moitié des CD de mon étagère. J'ai tenté de me dégager, mais il a la poigne solide, le frérot.

– Écoute, Victor, a-t-il lancé. Sois tu te moques de moi, soit tu as reçu un sacré coup sur la tête, mais dans les deux cas, je vais être clair avec toi : ne nous refais jamais un coup pareil, tu m'entends ?

J'ai secoué la tête sans comprendre. Mon frère m'a relâché et a arraché d'un coup plusieurs pages de mon calendrier mural, un calendrier journalier que j'accroche toujours à la même place et que je mets un point d'honneur à garder scrupuleusement à jour.

Il a brandi les feuilles arrachées sous mon nez et il a ajouté, s'efforçant en vain de maîtriser le tremblement dans sa voix :

– Comment veux-tu que je réagisse, bon Dieu ? Tu te barres sans donner aucune nouvelle pendant toute une semaine, toute une foutue semaine, et tu t'attends à des félicitations

*

J'ai d'abord pensé que j'étais la victime d'une blague collective de très mauvais goût, pour ne pas dire d'une conspiration gigantesque, mais dans les jours qui ont suivi, il a bien fallu me rendre à l'évidence : j'avais effectivement disparu mystérieusement pendant de nombreux jours, et je n'avais strictement aucun souvenir de l'événement.

Le médecin qui m'a ausculté a mis cela sur le compte d'une amnésie consécutive au choc dudit événement. Les policiers ont rapidement écarté l'hypothèse de la fugue mais restaient très perplexes. Pas plus que moi, ils ne comprenaient comment j'avais pu, après une si longue absence, revenir frais comme un gardon et portant des vêtements à peine froissés. Ils sont revenus une ou deux fois puis ont espacé leurs visites, et la psychologue a fait de même. Mes parents, comme on pouvait s'y attendre, m'ont surveillé de près, refusant au début de me laisser mettre un pied dehors, ne m'y autorisant ensuite que si je sortais accompagné, presque tenu par la main malgré mes quatorze ans.

Au bout de quelque temps, cependant, j'ai fini par me convaincre que rien de tout cela n'était sans doute arrivé, qu'il ne s'agissait en fait que d'un rêve absurde.

Bien sûr, vous l'auriez sans doute parié, je me trompais lourdement !

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Tous droits réservés
(C) 2015-16 Jérémie Cassiopée

Illustration: Marzena Pereida Piwowar

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