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Une fois à bord de la voiture (une Renault ronde comme une bulle, avec un dôme transparent à la place des vitres et du toit), bien calé dans le siège baquet à côté de mon chauffeur, je me suis senti plus apaisé : j'allais utiliser la machine construite par mon double et réintégrer mon temps, j'allais le faire très bientôt, et tout irait bien. Malgré le confort du véhicule, pas question de dormir de nouveau. J'ai repensé à ce que mon interlocuteur m'avait expliqué, et bien sûr, un bon paquet de questions se sont bousculées sur mes lèvres :

– Donc si j'ai bien compris ce que tu m'as dit, la machine vers laquelle tu m'emmènes est différente de l'ascenseur que j'ai pris ?

– Les deux inventions n'ont rien à voir, a répondu mon chauffeur en exécutant, la main à peine posée sur le joystick qui lui servait de volant, une splendide manœuvre de dégagement.

Véhicule en mode manuel, soyez prudent, a annoncé une voix synthétique dans l'habitacle.

– Comme je te l'ai déjà dit, ton ascenseur ne permet que le voyage vers le futur, a-t-il poursuivi. Tu as été – comment dire ? – plongé dans un congélateur. Un congélateur temporel.

– Un quoi ? me suis-je écrié.

J'avais tout à coup l'impression d'être comparé à une dinde surgelée tout juste sortie de son frigo.

– Un appareil à ralentir le temps, a repris patiemment mon double en s'engageant dans la rue principale qui menait hors du village. L'inventeur qui l'a construit – je ne t'ai pas dit qui c'était ? – un certain Séraphin Tub…

– Je sais qui l'a construit, ai-je coupé. J'ai fait mes recherches. Ce matin. À la bibliothèque.

– Bravo, a-t-il approuvé. Bref, cet inventeur génial a mis au point un caisson – l'ascenseur que tu as pris servant simplement de porte d'entrée – qui permet de ralentir le temps à l'extrême. Comment s'y est il pris ? Tout simplement, si je puis dire, en entourant ce caisson de trous noirs minuscules.

J'ai compris immédiatement : je me souvenais parfaitement d'un bouquin d'astrophysique que j'avais lu quelque temps auparavant ; le sujet y était abordé en détail.

– Ça a un rapport avec la gravité, c'est ça ?

– Tout à fait, a confirmé mon double. De la même façon que l'accélération, la gravité ralentit le temps, tout du moins par rapport à un observateur extérieur. Les trous noirs génèrent une gravité formidable. En parvenant à créer des versions miniatures de ces objets, notre inventeur a ainsi ralenti le temps pour quiconque se trouvant à l'intérieur du caisson. Malin, non ?

Effectivement, ai-je réfléchi rapidement, c'était très malin. J'ai failli ensuite demander pourquoi avoir installé un tel caisson dans un immeuble, et surtout, pourquoi avoir fait intervenir un ascenseur, mais je me suis souvenu que je connaissais déjà la réponse : c'était sans doute le plus pratique pour notre inventeur, puisqu'il s'était retrouvé propulsé à la tête de ce secteur et qu'il pouvait donc profiter de toute la logistique nécessaire à son entreprise et de plus, construire tout cela discrètement. J'ai donc demandé plutôt :

– Mais ce fameux caisson, où Tubercule l'a-t-il caché exactement ? Comment l'ascenseur peut-il servir de porte d'entrée comme tu dis ? Et comment son utilisation peut-elle rester totalement inaperçue ?

Cela faisait beaucoup de questions.

Au lieu de me répondre, mon chauffeur a engagé sa Renault du futur sur une voie rapide, et l'instant d'après, nous nous intercalions – pare-choc contre pare-choc – entre deux véhicules qui roulaient à tombeau ouvert. J'ai regardé le compteur : il indiquait plus de 200 km/h.

Mode automatique engagé, a annoncé la voix synthétique dans l'habitacle.

Puis mon double a lâché son joystick, a fait pivoter son siège vers moi et s'est emparé d'une espèce de vitre transparente qui, en fait, s'est avérée être une tablette.

– Plutôt qu'un long discours… a-t-il dit.

Sur sa tablette, il m'a rapidement dessiné un schéma. Avec le superbe stylo multifonction dont on m'a fait cadeau durant mon aventure (j’expliquerai bientôt dans quelles circonstances), j'ai reproduit ce schéma ci-dessous. J'espère qu'il vous sera aussi clair qu'à moi.

– Une fois l'ascenseur A dans le caisson, a expliqué mon double, il subit la loi des trous noirs. Pour le voyageur, une poignée de secondes seulement se seront alors écoulées, y compris le temps pour l'ascenseur de descendre au sous-sol puis de remonter ensuite – comme si de rien n'était – à l'étage choisi au départ. Mais quand ce même voyageur ouvrira les portes, il aura fait, comme tu le sais maintenant, un bond de géant dans le futur.

Le temps pour l'ascenseur de descendre au sous-sol. Je me suis soudain souvenu : j'avais effectivement eu l'impression, juste après avoir appuyé sur le bouton, de tomber d'abord avant de remonter vers mon étage, mais sur le moment, à l'occasion de mes diverses expériences involontaires donc, je n'y avais pas prêté d'attention particulière.

Songeur, j'ai contemplé le schéma, puis j'ai fini par dire :

– Si je comprends bien, seul l'ascenseur A peut être utilisé pour voyager dans le temps…

– Tout à fait, a confirmé mon vis-à-vis. Mais il peut aussi, bien sûr, être utilisé comme un ascenseur ordinaire. Le voyage temporel est déclenché par l'intermédiaire du panneau des boutons d'étages. Ce dernier est équipé d'un capteur discret d'empreintes digitales. Seule la bonne empreinte peut déclencher la descente de la cabine et le contrôle du caisson.

Un système de reconnaissance des empreintes, vraiment ? Cela me laissait sceptique.

– Comment se fait-il alors que la machine ait fonctionné si bien avec le premier venu – c'est-à-dire avec moi – si elle possède une telle sécurité ?

Mon double a souri, et il a répondu :

– Je ne vais quand même pas tout te mâcher. Fais comme moi à ton âge : creuse-toi la cervelle…

La réponse était très frustrante. J'ai détourné la tête, laissant mon regard se promener au-delà de la vitre – notre véhicule continuait de rouler à une vitesse prodigieuse, imbriqué dans une longue chaîne de bolides étincelants qui serpentait jusqu'à l'horizon ; de chaque côté de l'autoroute, des éoliennes innombrables se précipitaient vers nous, et nous saluaient d'un coup d'aile avant de disparaître ; à contre-jour devant des nuages rougeoyants, des ballons dirigeables (oui, des ballons dirigeables, comme dans les vieux films en noir et blanc) sillonnaient le ciel – puis au bout d'un moment, j'ai fini par reprendre :

– Très bien. Parle-moi de la machine que tu as construite alors. Celle que tu vas me faire prendre.

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Tous droits réservés
(C) 2015-16 Jérémie Cassiopée

Illustration: Marzena Pereida Piwowar

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