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L'article me concernant figurait quelque part en page 5 de ce numéro. Son titre annonçait : UN GARCON DE 14 ANS DISPARAÎT : FUGUE OU ENLÈVEMENT ? Je le savais, car mes parents avaient longtemps gardé la page du journal. J'avais lu et relu cet article jusqu'à le connaître par cœur, je savais donc qu'il ne m'apprendrait rien. Ce que je cherchais, c'était plutôt s'il y avait eu ce jour-là, comme je l'ai dit, d'autres événements inhabituels, même sans aucun lien apparent avec mon affaire. J'ai feuilleté le journal (si l'on peut dire) et – coup de chance – je suis tombé presque immédiatement sur un entrefilet de coin de page qui, en gros, disait ceci :

Collision rue Wuillaume : un blessé sérieux. Hier mercredi, vers 13 h 15, un piéton a été renversé par une voiture qui, selon des témoins, roulait à grande vitesse. La victime a été prise en charge par les pompiers et acheminée vers l'hôpital Pellegrin. Plus de détails dans notre édition de demain.

L'information a aussitôt fait tilt : je me souvenais effectivement de cet incident, même si sur le moment je n'y avais prêté aucune attention. Il avait eu lieu non loin de chez moi, apparemment quelques instants seulement avant que je descende acheter le magazine. C'était donc ça, la raison de l'attroupement que j'avais noté : un accident de la circulation. La coïncidence était trop curieuse. J'ai passé mon doigt sur la date du journal pour faire apparaître l'édition du jour suivant.

Cette fois-ci, l'article prenait beaucoup plus de place, et s'étalait en page trois avec une photo de l'ambulance et de deux policiers (on ne voyait pas la victime) et en arrière-plan, un aperçu parfaitement identifiable de ma rue. J'ai entrepris sa lecture, et tandis que je progressais de paragraphe en paragraphe, j'ai senti mon pouls s'accélérer. Quand j'ai atteint la dernière ligne, mon cœur cognait comme un fou : je venais en l'espace de quelques instants de comprendre bien des choses et ce qu'il me fallait faire en sortant de la médiathèque s'imposait comme une évidence.

En attendant, une petite recherche complémentaire était indispensable. Il fallait que je sois sûr à cent pour cent…

Je me suis levé et j'ai commencé à arpenter les allées de la bibliothèque, mais la masse de documents était trop énorme. Entre les livres et les supports numériques de tous types, je ne savais par où commencer.

J'ai bientôt réalisé que le plus simple c'était d'aller effectuer cette recherche sur Internet, si bien sûr ce dernier existait encore. Je me suis approché de ce qui pouvait passer pour un clavier d'ordinateur (une projection astucieuse depuis le plafond sur un simple tapis de mousse en fait), j'ai appuyé un peu partout et sur le mur d'en face, une fenêtre de lumière s'est allumée. « Bienvenue sur Internet Explorer 17 », précisait le bandeau placé tout en haut. Parfait, ai-je pensé, allons-y pour une petite séance éclair.

Après deux ou trois tentatives durant lesquelles j'ai vraiment failli piquer une crise, tant la navigation était différente de ce que je connaissais, j'ai fini par trouver les infos que je cherchais. Elles correspondaient en tous points à ce que j'aurais parié.

Ensuite, plutôt que de sortir en trombe, je me suis forcé à tirer un calepin de ma poche et à y griffonner quelques notes sur mes dernières péripéties ainsi que les horaires correspondants.

Bien sûr, cela peut surprendre, alors j'explique : depuis plusieurs mois déjà, je tiens à jour un journal de bord dans lequel j'inscris non pas mes peines de cœur, mais les événements marquants de ma vie quotidienne et surtout, mes réflexions toutes personnelles sur des sujets divers tirés de mes lectures ou des documentaires que je regarde. Je mets un point d'honneur à le compléter quotidiennement, et ce jour-là, dans cette médiathèque futuriste de l'an deux-mille quarante-six, je n'ai vu malgré l'urgence de la situation aucune raison de bousculer mes habitudes, bien au contraire : j'ai donc pris cinq minutes supplémentaires, et je m'en félicite encore maintenant, car sans cela, mon récit ne serait sans doute pas aussi détaillé, ni aussi précis.

Une fois ma petite obligation satisfaite, mon journal de bord est retourné dans sa poche, et en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, je me suis retrouvé à l'extérieur, une destination bien précise en tête.

*

Chemin faisant, je n'arrêtais pas de penser à cet article du Quotidien Républicain que j'avais découvert. On y disait que la malheureuse victime avait succombé à ses blessures, qu'il s'agissait d'un dénommé Séraphin Tubercule (si si), un personnage excentrique et mystérieux, passionné d'inventions. On y disait surtout – et c'est ce qui justifiait l'importance de l'article – qu'il avait succédé à son grand-père en tant que PDG d'une des plus grosses entreprises locales, une entreprise qui fabriquait quoi ? Je vous le donne en mille : qui fabriquait des ASCENSEURS.

C'est donc très logiquement devant l'un de ces derniers que je me suis bientôt retrouvé planté. Lequel ? Le vieil ascenseur de mon immeuble bien évidemment, celui que je prenais depuis des lustres ; sacré retour à la case départ ! Ma montre indiquait alors :

10 h 37.

J'ai fait coulisser la porte de métal et j'ai inspecté longuement l'intérieur de la machine (en prenant garde, toutefois, d’y pénétrer de nouveau) : tout avait l'air parfaitement normal. Pourtant, je savais à présent qu'il ne fallait pas se fier aux apparences et que c'était bien cette satanée boîte de conserve la cause de tous mes malheurs.

C'est ce que ma recherche sur Internet m'avait confirmé : ce Séraphin Tubercule était en fait l'inventeur controversé d'une… machine à voyager dans le temps. Il n'avait jamais autorisé personne à la voir, ni encore moins à la soumettre à un quelconque examen scientifique. Il avait même eu droit à un reportage sur FR3 (reportage que j'avais vu : je m'en souvenais maintenant. Je n'avais pas retenu le nom du personnage, mais à l'époque, du haut de mes neuf ou dix ans, je l'avais clairement pris pour un illuminé). Un jour, clamait-il, quand la machine sera prête, je ferai une démonstration, et le monde en aura le souffle coupé…

Eh bien ! La partie de cache-cache était maintenant terminée. Sa machine, je l'avais sous les yeux. J'avais – bien involontairement – découvert le pot aux roses, et j'étais la preuve vivante que Tubercule, loin d'être un illuminé, était au contraire un génie : sa découverte fonctionnait au-delà de toute espérance.

Mais pouvait-elle me ramener dans mon présent ? C'était la grande question…

Absorbé dans ma contemplation, je n'ai pas entendu le bruit de pas derrière moi. C'est seulement quand une voix a résonné dans le silence du hall – une voix qui disait : on dirait qu'on a fini par le coincer, notre voleur à la tire… – que j'ai réalisé que je n'étais pas seul. J'ai fait volte-face, soudain alerté. Devant moi, se tenaient deux policiers goguenards (en superbes combinaisons de plongeurs d'un bleu éclatant), les pouces enfouis dans leur ceinture.

– Tu vas nous suivre bien gentiment, a dit l'un deux en s'avançant lentement vers moi.

En un éclair, j'ai compris que si, pour ma part, j'avais d'ores et déjà tiré un trait définitif sur l'épisode des hamburgers McDo, tout le monde n'avait pas ma grandeur d'âme. L'androïde avait dû s'empresser de signaler l'incident, et d'une façon ou d'une autre, les policiers avaient fini par retrouver ma trace…

Je n'ai fait ni une ni deux. J'ai refait un splendide demi-tour, je me suis engouffré dans la cabine d'ascenseur et j'ai frappé du poing sur tous les boutons d'étages en même temps. La porte s'est refermée et la cabine s'est ébranlée. Mes poursuivants ont bondi en pestant, mais un poil trop tard : dommage pour eux.

(Suite sur PAGE 6)

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(C) 2015-16 Jérémie Cassiopée

Illustration: Marzena Pereida Piwowar

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