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Mon double a contemplé silencieusement l'épave de l'androïde.

– Beau travail, a-t-il fini par dire. Je ne me souvenais plus d'avoir été si habile.

– Où va-t-on, maintenant ?

Mon double s'est dirigé vers l'une des portes latérales, la plus large. Je lui ai emboîté le pas, fauchant sournoisement au passage à l'androïde l'objet qui m'avait tapé dans l'œil en arrivant : un superbe stylo doré qu'il tenait encore dans la main. (Oui, celui-là même dont je devais reparler. Vous savez à présent dans quelles circonstances il m'a été offert…)

Arrivés devant la porte, nous nous sommes arrêtés. Cette dernière était massive, sans fenêtre, et semblait infranchissable, construite davantage pour protéger un coffre-fort que pour donner accès à un laboratoire de recherche. De plus, je ne voyais aucune serrure, aucun système d'ouverture.

– On ne va quand même pas la dynamiter ? ai-je hasardé.

– On n'aura pas à en arriver là, a répondu mon double. Elle s'ouvre au moyen d'un système de reconnaissance de l'empreinte ADN de la main. Il faut deux personnes autorisées pour l'ouvrir.

– Toi compris, je n'en vois pour l'instant qu'une seule, ai-je fort judicieusement répliqué.

Mon double ne s'est pas laissé démonter :

– C'est pour cela que j'avais demandé à mon collègue Arthur de me rappeler. C'est lui qui a mis au point cette sécurité. Je lui ai tiré discrètement les vers du nez. Résultat : il m'a fourni sans le savoir le moyen de reprogrammer le système.

Là-dessus, il s'est tourné vers une console murale et a laissé courir ses doigts sur un clavier (un vrai, avec de bonnes vieilles touches bien réelles, contrairement à celui de la bibliothèque). Au bout de quelques instants, deux petites trappes de la grandeur d'une main se sont ouvertes dans le mur de chaque côté de la large porte et mon double s'est tourné vers moi.

– Le système va procéder à un prélèvement ADN sur ta peau. Rassure-toi, c'est indolore. À mon signal, tu introduis ta main et tu la poses bien à plat sur la plaque devant toi pendant quelques secondes. De mon côté, je vais faire pareil.

Devant mes yeux ronds, il a ajouté :

– Réfléchis : je suis toi et tu es moi. Ton ADN est donc le mien. Tout ce que je viens de faire, c'est de forcer le système à reconnaître deux fois la même personne autorisée, et non deux personnes différentes. Tu es prêt ? Trois, deux, un, on pose !

Nous avons poussé nos deux mains dans les ouvertures avec un beau mouvement d'ensemble. Tout d'abord, rien ne s'est passé, si ce n'était des picotements qui me couraient sur toute la surface de la paume, puis tout à coup, comme par magie, un sifflement hydraulique s'est fait entendre et la lourde porte a coulissé lentement, révélant un long couloir dont le plafonnier s'est allumé automatiquement.

Mon double a grimacé un sourire satisfait.

– C'est tout au fond, a-t-il indiqué. Il faut prendre un escalier qui descend au sous-sol.

*

L'escalier descendu, nous avons passé un sas, et j'ai découvert une salle déserte mais encombrée d'équipements électroniques qui semblaient fonctionner tout seuls.

Dans le fond de la pièce, il y avait une machine recouverte d'une bâche plastique – sans doute pour la protéger de la poussière – et, relié à celle-ci, un pupitre de commande. C'était là, je le pressentais, que tout allait se jouer…

Nous nous sommes frayé un chemin, et j'ai soudain reconnu les lieux : j'étais sans le savoir revenu dans mon immeuble, dans le sous-sol plus précisément ! Quelle transformation, depuis l'époque où j'y accompagnais madame Lepic lorsqu'elle venait y étendre son linge… De toute évidence, le CNRS l'avait racheté, d'une façon ou d'une autre, pour le transformer en laboratoire.

Une chose, cependant, n'avait pas changé : l'énorme chaudière qui trônait en face de moi contre le mur, pas très loin de l'engin sous sa bâche. Je l'ai reconnue au premier coup d'œil. Avec son aspect sale et rustique, elle tranchait de façon surprenante avec le reste du décor. À présent, je savais ce qu'elle dissimulait.

Je me suis approché et, le cœur battant, j'ai laissé courir ma main sur sa surface rugueuse.

– C'est donc ça, le fameux congélateur temporel de Séraphin Tubercule, ai-je dit dans un souffle.

Mon double a hoché la tête.

J'ai senti un goût amer me monter dans la bouche, et je n'ai pu m'empêcher de demander :

– Pourquoi, durant toutes ces années, tu n'as rien tenté pour me sortir de là ?

– Avec ce caisson, il est impossible de reprogrammer un cycle déjà commencé, a expliqué mon double. On ne peut intervenir qu'une fois l'ascenseur libéré. Et de toute façon, te délivrer aurait servi à quoi ?

À pas grand-chose, c'est vrai, j'ai dû admettre dans mon for intérieur.

Puis il a désigné la machine mystérieuse, toujours dissimulée sous sa bâche plastique.

– Nous avons installé notre propre invention – le vaisseau à remonter le temps – aussi près que possible du caisson.

– Ça, j'ai fini par le comprendre. Mais pourquoi exactement ? ai-je demandé.

– Tu te souviens du tout petit détail dont je te parlais dans la voiture ?

J'ai réfléchi un instant.

– Tu me disais qu'à cause de ce détail votre engin ne pourrait jamais servir pour remonter jusqu'aux dinosaures…

– Exactement. Le procédé que nous avons mis au point est efficace, mais très lent. Il permet de remonter le temps à la vitesse d'une minute par minute. Ainsi, si tu veux remonter une heure dans le passé, il te faudra une heure. Si tu voulais remonter jusqu'au Jurassique pour vérifier de quelle couleur était vraiment le T-Rex, il te faudrait plus de soixante-cinq millions d'années…

J'ai senti un début de sueur froide me couler dans le dos :

– Tu n'es pas en train de me dire qu'il va falloir que je passe plus de trente ans dans ton vaisseau pour retourner à mon époque ?

– Mais non. C'est bien pour cela qu'il est indispensable d'utiliser le caisson de notre ami Séraphin Tubercule.

J'ai songé à cela.

– J'ai pigé ! me suis-je soudain exclamé. Le vaisseau va me faire remonter non pas le temps du monde extérieur mais le temps ralenti généré par le caisson…

– C'est cela, a dit mon double. L'action des trous noirs est simplement interrompue pendant quelques instants chaque fois que celui-ci accueille ou rejette l'ascenseur. Ce caisson temporel a donc créé un raccourci continu, ou presque, entre passé et présent, et c'est ce raccourci que notre vaisseau va te faire prendre à l'envers pour rentrer dans ton époque.

De nouveau, j'ai enveloppé la chaudière du regard, et une évidence déconcertante m'a soudain frappé.

– Et comment vas-tu faire rentrer ton vaisseau à l'intérieur ? Il n'y a pas l'ombre d'une porte !

De porte, en effet, il n'y avait point. Mais mon double semblait avoir réponse à tout :

– Le vaisseau va se dématérialiser et faire d'abord un petit bond sur le côté – sur une courte distance, cela ne pose pas trop de problèmes – avant d'entamer son voyage à rebours, toujours dématérialisé, à l'intérieur du caisson. Même saut de puce mais dans l'autre sens à l'arrivée. Tu te retrouveras donc à l'extérieur de la chaudière quand le vaisseau se rematérialisera.

– Et combien de temps va durer mon voyage ?

– Le temps, grosso modo, que tu as passé dans l'ascenseur.

J'ai fait une rapide estimation. Mes trois premiers sauts avaient duré une trentaine de secondes chacun. À cela, il ne fallait pas oublier d'ajouter les trois semaines passées « à l’extérieur » entre mon premier et mon second saut, ainsi que les quelques heures écoulées depuis mon arrivée ici, mais en temps-caisson, elles ne représentaient pratiquement rien. Le tout restait ridiculement raisonnable.

– J'en aurai donc pour moins de deux minutes, ai-je conclu avec un certain soulagement.

Mon double a caressé la tête de son chien robot (qu'il n'avait pas cessé de porter), puis, le faisant passer d'un bras à l'autre, il a plongé sa main dans l'une de ses poches pour en retirer un long câble de connexion.

– Pour ce voyage, j'ai conçu tout spécialement un programme…

Il a introduit l'une des extrémités du câble dans le pupitre de commande, et l'autre… dans l'oreille de son chien, qui s'est contenté de remuer bien sagement de la queue.

– … Et ce programme, c'est Kiki qui va le télécharger. Vas-y mon Kiki.

– Ouaf ! a fait Kiki.

Puis les yeux de ce dernier se sont mis à clignoter, et sur le pupitre de commande, là où il y avait écrit « destination », les chiffres de la fenêtre d'affichage ont commencé à défiler à toute vitesse. J'ai entendu un générateur se mettre en marche, et l'engin sous la bâche s'est illuminé et s'est mis à vibrer. Brave Kiki ! Et moi qui me demandais pourquoi diable mon double avait tenu à l'embarquer dans cette aventure…

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Tous droits réservés
(C) 2015-16 Jérémie Cassiopée

Illustration: Marzena Pereida Piwowar

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